L’ASNR publie une étude sur la téléradiologie et établit des recommandations : perspectives et enjeux de radioprotection
Dans un contexte de développement croissant des pratiques de télémédecine, l’Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection (ASNR) a conduit une étude sur le recours à la téléradiologie et ses effets, en collaboration avec le CEPN[1]. Cette démarche répond à une augmentation marquée des événements significatifs en radioprotection déclarés ces dernières années dans un tel contexte.
La téléradiologie permet à un radiologue d’analyser à distance des actes d’imagerie médicale réalisés dans un autre centre en son absence. Elle contribue à garantir un accès rapide au diagnostic, notamment dans les établissements en déficit de radiologues, et à assurer la continuité des soins pour les patients.
L’étude repose sur des entretiens avec les acteurs institutionnels (DGOS[2], HAS[3], CNAM[4]) et deux enquêtes nationales auprès des établissements de santé et des opérateurs de téléradiologie, ainsi que sur une enquête européenne auprès des membres d’HERCA[5],
Au niveau européen, les informations recueillies ne concernent qu’un nombre limité de pays, ce qui rend l’analyse difficile. Toutefois, les rares réponses obtenues indiquent que cette pratique est peu encadrée.
Au niveau national, un recours croissant à la téléradiologie est observé, tant pour l’imagerie programmée que pour les examens d’urgence. Cette pratique contribue à améliorer la continuité des soins et pallier les déséquilibres territoriaux de répartition des radiologues, notamment entre les secteurs publics et privés.
L’étude montre une amélioration dans la prise en charge des patients (rendez-vous facilité, fluidification de la prise en charge) ainsi qu’une amélioration du délai de rendu des comptes-rendus.
Toutefois, la pratique de la téléradiologie présente des points de fragilité, en termes de radioprotection, avec des conséquences possibles sur la mise en œuvre du principe de justification et un risque accru d’erreurs si le projet de téléradiologie n’est pas déployé dans un cadre sécurisé.
L’étude révèle ainsi :
- Un manque de concertation entre les parties prenantes et de préparation en amont du déploiement d’un projet de téléradiologie, notamment pour identifier les impacts sur l’organisation du travail, évaluer les besoins et de définir les modalités de mise en œuvre. Le mode distanciel fragilise la mise en œuvre du principe de justification en raison des difficultés d’accès aux antécédents cliniques et aux antériorités des examens et par l’intensification de l’’activité durant les plages couvertes par la modalité de téléradiologie en nuit profonde, où les demandes d’examen font l’objet d’une remise en question moins systématique ;
- Un manque de concertation lors de la définition des protocoles qui favorise la coexistence de protocoles distincts pour les radiologues sur site et les téléradiologues. Cette disparité expose les manipulateurs à une complexité organisationnelle accrue, susceptible d’engendrer des confusions et/ou des erreurs ;
- Une dégradation de la qualité de la communication entre professionnels en distanciel marquée par des difficultés d’accès aux données cliniques des patients, un manque d’interopérabilité entre les outils métiers (entre les établissements de santé et les plateformes de téléradiologie), ainsi qu’une communication altérée entre, d’une part, les téléradiologues, et d’autre part, les manipulateurs en électroradiologie médicale (MERM) et les médecins prescripteurs. Ces fragilités dans la coordination et l’accès à l’information peuvent favoriser la survenue d’erreurs ;
- Des effets sur le travail de certains professionnels de santé et sur la dynamique du travail en équipe (médecin prescripteur, manipulateur, téléradiologue), pouvant également favoriser la survenue d’erreurs : surcharge de travail (MERM, secrétaire et cadre), isolement professionnel, perte de sens et limitation des apprentissages en lien avec l’appauvrissement des interactions avec le radiologue.
La pratique de la téléradiologie révèle ainsi quatre enjeux spécifiques sur le plan de la radioprotection :
- La maitrise de la gestion de projet, souvent réduite à une simple information descendante de la part de la direction sans réelle concertation avec les équipes alors que ces projets entrainent des modifications significatives de l’organisation et des conditions de travail ;
- La mise en œuvre des principes de justification des examens, fragilisé par l’exercice à distance, le manque d’accès au dossier patient informatisé (DPI) et l’insuffisance des renseignements cliniques transmises, et par la coexistence de protocoles distincts pour les radiologues sur site et les téléradiologues ;
- La communication entre professionnels, qui peut être altérée entre les médecins demandeurs, les manipulateurs et les téléradiologues, facteur de risque pour la survenue d’événements significatifs de radioprotection ;
- La gestion des risques, notamment leur identification, leur compréhension et leur traitement de nouveaux risques d’erreurs liés à une nouvelle organisation.
Les résultats de cette étude montrent qu’avec le développement rapide de la téléradiologie, il est essentiel d’adopter une gestion de projet adaptée au sein des services. Cela implique une concertation étroite entre les parties prenantes, ainsi qu’une réflexion approfondie sur l’organisation, les outils, les pratiques de travail et les risques liés à ces évolutions.
Ces conditions préalables sont indispensables pour assurer la maitrise de la mise en œuvre des principes de justification, favoriser la communication entre les acteurs, adapter la gestion des risques à cette nouvelle pratique et limiter la survenue d’évènement significatif de radioprotection.
Sept pistes d’amélioration, concernant les enjeux de radioprotection, sont proposées :
- Renforcer la concertation en amont de la mise en œuvre de la téléradiologie entre établissements et opérateurs ;
- Accompagner le changement pour les professionnels de santé concernés en prenant mieux en considération les besoins des différents métiers ;
- Améliorer la mise en œuvre du principe de justification des actes radiologiques en distanciel en maitrisant mieux la programmation des examens, en facilitant l’accès aux antécédents cliniques et aux antériorités des examens et en harmonisant les protocoles ;
- Analyser les facteurs favorisant ou entravant la communication entre professionnels lors du recours à la téléradiologie et repenser les interfaces de communication en conséquence ;
- Mettre à jour le référentiel des bonnes pratiques à l’usage des médecins[6] et le guide des procédures des examens scanographiques élaborés par la Société Française de Radiologie (SFR), la Société Française de Médecine Nucléaire (SFMN) et la Société Française de Physique Médicale (SFPM) ;
- Conduire, dans le but de sécuriser la prise en charge des patients, une analyse de risque a priori partagée entre établissements et opérateurs de téléradiologie sur les projets de téléradiologie et partager le retour d’expérience des événements internes et des ESR déclarés à l’ASNR, ;
- Améliorer la connaissance de l’activité réalisée en téléradiologie pour pouvoir mieux l’évaluer, notamment s’agissant des exigences de radioprotection et des recommandations de la dernière charte de téléradiologie.
L’ASNR a porté les résultats de cette étude et ses recommandations à la connaissance des parties prenantes (agences sanitaires, sociétés savantes, opérateurs de téléradiologie) et du comité de suivi du plan national de maitrise des doses en imagerie afin d’examiner les suites à donner. Elle informera également ses homologues internationaux dans le cadre des travaux d’HERCA.
En savoir plus :
Étude sur la pratique de la téléradiologie - Perspectives et enjeux de radioprotection
(PDF - 2,91 Mo)
[1] CEPN (Centre d’étude sur l’Évaluation de la Protection dans le domaine nucléaire) : Association évaluant la protection de l’Homme contre les dangers des rayonnements ionisants.
[2] DGOS (Direction Générale de l’offre de soins) : Administration centrale du ministère français de la Santé pilotant les politiques de l'offre de soins.
[3] HAS (Haute Autorité de Santé) : Autorité publique indépendante développant la qualité dans les secteurs sanitaires, sociaux et médico-sociaux.
[4] CNAM (Caisse Nationale de l’Assurance Maladie) : Organisme français de sécurité sociale.
[5] HERCA (Heads of European Radiological Competent Authorities) : Association regroupant les responsables des autorités européennes compétentes en radioprotection.
[6] ADERIM : Aide à la Demande d’Examens de Radiologie et Imagerie Médicale.