Restitution des projets IRSN-CNRS : des avancées majeures au cœur des défis du nucléaire

09/12/2025

Le 21 octobre 2025, l’ASNR a accueilli la journée de restitution des travaux menés dans le cadre de l’appel à projet conjoint IRSN-CNRS lancé en 2023 par la MITI (Mission pour les Initiatives Transverses et Interdisciplinaires du CNRS) et l’IRSN.

Cet appel, intitulé « Matériaux, santé et mesures : au cœur des défis du nucléaire », visait à soutenir des recherches exploratoires et interdisciplinaires, en lien avec la feuille de route IRSN-CNRS. Les thématiques prioritaires portaient sur :

  • L’altération des matériaux des composants et des structures
  • Les nouvelles techniques nucléaires pour la santé
  • Les capteurs et la métrologie

Des résultats scientifiques prometteurs

Les projets lauréats ont apporté des avancées significatives dans des domaines stratégiques pour la sûreté nucléaire et la santé :

  • Le projet BEECONECT a développé et testé des dispositifs de suivi écologique automatisé afin d’évaluer les effets d’une contamination radioactive sur la santé cognitive de pollinisateurs. Des « fleurs connectées », véritables tests cognitifs automatisés, ont ainsi été déployées pour la première fois en conditions naturelles pour des abeilles domestiques et des pollinisateurs sauvages dans la préfecture de Fukushima. Ces dispositifs ont permis de collecter en continu et sur le long terme des données comportementales. A terme ces dispositifs permettront des mesures sans intervention humaine, grâce à l’intégration de l’intelligence artificielle rendant possible l’identification des individus de différentes espèces et l’analyse à grande échelle de leurs performances d’apprentissage et de mémoire. Les résultats en cours de publication de ce projet pilote montrent que les capacités cognitives des abeilles sont altérées en fonction de la contamination radioactive, avec des conséquences potentielles sur la pollinisation et la survie des colonies. Le projet a également révélé, pour la première fois chez une espèce sauvage non-modèle, des différences morphologiques et de comportement selon le niveau de contamination des sites.

  • Le projet CHEMINS a eu pour ambition de créer le premier champ de référence de neutrons épithermiques en France, une ressource unique pour la recherche, la radioprotection et la médecine. Ces neutrons, situés entre les neutrons lents et rapides, sont particulièrement intéressants car leurs interactions avec la matière varient fortement avec leur énergie, mais aucun dispositif de référence n’existait jusqu’ici. Pour relever ce défi, CHEMINS a développé de nouveaux modérateurs capables de produire un flux de neutrons épithermiques stable et adapté. Des géométries inédites ont été conçues, offrant des performances améliorées. Les chercheurs ont dans ce cadre validé ces dispositifs à l’aide de détecteurs innovants, capables de mesurer précisément l’énergie des neutrons.

  • Le projet ONDEA s’est intéressé à la caractérisation de nouvelles sources de neutrons, produites non pas par des réacteurs ou des accélérateurs classiques, mais par des lasers de haute puissance. Grâce à l’installation APOLLON, il devient possible de générer des champs neutroniques d’une intensité inédite, ouvrant la voie à une nouvelle génération d’expériences. Pour exploiter ces sources, il est indispensable de mesurer avec précision leur énergie, leur flux et leurs propriétés spécifiques.

    Dans ce contexte, ONDEA a développé une approche innovante de reconstruction de spectres neutroniques à partir du spectromètre d’activation SNAC, en utilisant l’intelligence artificielle pour remplacer les méthodes classiques de déconvolution et prédire directement le spectre à partir des fonctions de réponse et des activités des échantillons.

    Ces développements constituent une étape clé vers l’intégration de telles méthodes dans de nouveaux dispositifs, comme le spectromètre SPAC, spécifiquement conçu pour les champs neutroniques intenses induits par laser sur des installations comme APOLLON. Des développements sont encore en cours pour valider ces méthodes à partir de mesures expérimentales, mais elles ouvrent déjà la voie à des alternatives prometteuses là où les approches traditionnelles atteignent leurs limites. Les résultats ouvrent la voie à une meilleure évaluation des risques en radioprotection, en validant les protections nécessaires pour les travailleurs. Ils apportent aussi des outils nouveaux pour la recherche internationale, applicables à d’autres installations et domaines scientifiques.

  • Lors d’un transitoire accidentel à haute température, l’un des mécanismes dominant de dégradation des gaines de combustible nucléaire dans le cœur du réacteur est leur oxydation par la vapeur d’eau, principalement pilotée par la diffusion de l’oxygène à travers la zircone en formation ou déjà présente sur la gaine. L’un des enjeux du projet Zircoram a été de mesurer avec précision l’écart à la stœchiométrie de la zircone (c’est-à-dire les variations de composition en oxygène) à une échelle locale, car ces écarts influencent directement ses propriétés et la cinétique d’oxydation de la gaine.

    L’approche retenue est expérimentale et innovante : le développement d’une méthode optique à haute résolution (de l’ordre du micromètre), simple à mettre en œuvre, permettant de cartographier ces écarts de manière locale et fine. Cette technique pourra s’appliquer non seulement à la zircone mais aussi à d’autres oxydes, constituant ainsi un outil d’analyse inédit dans le domaine de la corrosion des matériaux.

    Les résultats sont doubles :

    1. La mise au point de cette méthode comble un manque actuel dans les outils de caractérisation ;
    2. L’apport de données précises sur ces matériaux pourront être intégrées dans le modèle d’oxydation du logiciel SHOWBIZ, contribuant directement à améliorer la fiabilité des simulations.

    ZircoRam combine ainsi recherche fondamentale et finalités applicatives, avec un fort potentiel d’impact pour la compréhension et la modélisation des phénomènes de corrosion des gaines de combustibles

  • Le projet CORAYL a eu pour objet de mieux comprendre le phénomène de lixiviation du corium, un mélange fondu de combustible nucléaire et de matériaux de structure formé lors d’un accident nucléaire grave. Ce phénomène, observé notamment à Fukushima, a conduit à la contamination de grandes quantités d’eau, rendant leur traitement extrêmement complexe. Pour anticiper et mieux gérer cette situation, CORAYL a cherché à comprendre les mécanismes de relâchement des produits de fission (comme le césium, le strontium ou le baryum) lorsque le corium entre en contact avec l’eau.

    L’approche expérimentale de CORAYL repose sur la fabrication de céramiques modèles simulant le corium réel, en remplaçant les éléments radioactifs par des équivalents non radioactifs (comme le cérium). Ces matériaux, ont été soumis à des tests de lixiviation, dans des conditions représentatives d’un accident (température, pH, radiolyse). Leur composition, microstructure et porosité ont été finement caractérisées avant et après contact avec l’eau, afin d’identifier les processus chimiques et physiques impliqués dans la dissolution des éléments.

    Les données obtenues ont permis de développer des modèles simplifiés décrivant la dégradation et le relâchement des éléments en fonction du temps et des conditions expérimentales. Ces modèles contribueront à améliorer les outils de simulation de l’ASNR pour la prévision du terme source en cas d’accident grave, et à mieux planifier les stratégies de gestion et de démantèlement post-accidentel.

  • Le projet MINIRAP poursuit un double objectif, d’une part acquérir des connaissances sur la stabilité et le devenir des phases porteuses de radioactivité, d’autre part assurer le traçage des sources de contamination chimique et radiologique dans l’environnement.

    Ce projet a, en particulier, permis le développement de méthodes d’analyse innovantes pour caractériser, à l’échelle micro et nanométrique, les marquages chimiques et radiologiques présents dans les sols et sédiments. En s’appuyant sur la spectrométrie de masse à émission d’ions secondaires à haute résolution (NanoSIMS), MINIRAP a levé plusieurs verrous analytiques, notamment en matière de quantification d’isotopes à très faible abondance et de calibration des mesures à l’échelle nanométrique. Les chercheurs ont ainsi obtenu des cartographies isotopiques fines de traces d’uranium et de ses descendants (235U, 238U, 230Th, 226Ra, 206Pb, 207Pb), ainsi que du thorium et de plomb (232Th, 208Pb). L’étude confirme par ailleurs la pertinence de l’usage des isotopes du plomb comme traceurs des contaminations d’origine minière et industrielle.

    Ces développements méthodologiques, combinant NanoSIMS, géostatistique et imagerie complémentaires, permettent la distinction des sources naturelles et anthropiques de contamination et affinent les modèles de transport réactif. Au-delà des sites miniers, ces avancées renforcent les outils disponibles pour la gestion et la surveillance des milieux contaminés. Enfin, MINIRAP a permis de consolider une communauté scientifique autour de ces approches de pointe et d’envisager leur déploiement dans d’autres contextes environnementaux.

  • Le projet ARISE a permis de démontrer la faisabilité du suivi en continu, par ultrasons, des bulles de gaz de radiolyse éventuellement formées dans les enrobés bitumés issus du conditionnement des déchets radioactifs. Ces bulles, principalement composées de dihydrogène, peuvent influencer le comportement des colis bitumés (FEB) en cas d’incendie qui constitue un enjeu clé pour la sûreté de leur entreposage et le futur stockage. Le projet a mis au point une méthode ultrasonore innovante capable de détecter et de suivre la formation et la migration de ces bulles dans une matrice bitumeuse. Après avoir caractérisé la propagation acoustique dans les bitumes et optimisé les paramètres expérimentaux, l’équipe a conçu une cellule expérimentale dédiée qui sera testée sur des échantillons irradiés dans l’installation IRIMA de l’ASNR. Les premiers résultats ont validé la cohérence entre les mesures ultrasonores et les tomographies X, confirmant la pertinence de cette approche pour le suivi des bulles de gaz de radiolyse. Ces travaux ouvrent la voie à un suivi non destructif et en temps réel du vieillissement des déchets bitumineux dans des conditions extrêmes notamment la température et l'irradiation, permettant ainsi une meilleure modélisation des phénomènes d’emballement thermique. Les avancées d’ARISE constituent une étape clé dans la compréhension du comportement des déchets FA-VL et MA-VL et renforcent les outils de démonstration de la sûreté des installations nucléaires de stockage.

  • Le projet HADRIMMUNE a permis d’explorer en profondeur les effets immunologiques et vasculaires de l’hadronthérapie, comparée à la radiothérapie photonique classique, dans le traitement des cancers des voies aérodigestives supérieures. Grâce à une approche intégrée combinant études in vitro et modèles murins, les chercheurs de l’ASNR, du CNRS et du CNAO ont montré que les ions carbone et les protons induisent des modifications spécifiques du micro-environnement tumoral, en particulier au niveau de l’endothélium et du recrutement des cellules immunitaires. Les analyses moléculaires et cellulaires ont révélé un rôle clé des radicaux libres et des glycosylations endothéliales dans la migration des monocytes après irradiation. Ces travaux ont mis en évidence que les faisceaux d’ions lourds stimulent différemment la réponse immunitaire par rapport aux photons, favorisant une infiltration immunitaire plus efficace et potentiellement une meilleure destruction tumorale. Les données obtenues ont enrichi le modèle biophysique NanOx, améliorant la prédiction de l’efficacité biologique relative (EBR). En s’appuyant sur cette collaboration internationale, HADRIMMUNE a ouvert la voie à une meilleure intégration de l’immunothérapie et de l’hadronthérapie, posant les bases de protocoles combinés plus rationnels et personnalisés.

  • Le projet WatchYourHeaRT a étudié, cinq ans après traitement, les troubles du rythme cardiaque susceptibles d’apparaître chez des femmes traitées par radiothérapie pour un cancer du sein. L’étude a innové en utilisant des montres connectées dotées d’électrocardiogrammes (ECG) pour dépister les arythmies cardiaques, notamment la fibrillation atriale, parfois asymptomatique. Une soixantaine de patientes, suivies à la clinique Pasteur de Toulouse, ont porté ces montres pendant un mois avant de réaliser un bilan cardiologique complet comprenant ECG, échocardiographie et analyses biologiques. Les données recueillies ont permis de détecter plusieurs cas d’arythmies méconnues des patientes et d’évaluer la dose de rayonnement reçue par les sous-structures cardiaques, identifiées grâce à un atlas de segmentation automatisé, en collaboration avec l’Institut Curie et le CLCC de Caen. Les premiers résultats indiquent un risque accru d’anomalies du rythme en lien avec l’exposition de certaines zones cardiaques, notamment l’oreillette droite. Le recours aux montres ECG s’est révélé fiable et bien accepté par les patientes, ouvrant la voie à un dépistage précoce et non invasif des complications cardiaques post-radiothérapie. Ce projet renforce la prévention cardio-oncologique et éclaire les stratégies de suivi à long terme des patientes traitées pour un cancer du sein.

Un partenariat stratégique pour l’avenir

Cette journée a confirmé la pertinence de l’approche interdisciplinaire portée par la MITI et l’IRSN. L’ASNR et le CNRS poursuivront leur collaboration pour soutenir des projets innovants, à fort impact pour la sûreté nucléaire, la santé et l’environnement.
En lien avec le renouvellement de l’accord-cadre entre le CNRS et l’ASNR et avec la volonté de dynamiser cette relation, de nouveaux appels à projets conjoints ne manqueront pas d’être proposés afin d’accompagner les chercheurs dans l’exploration des défis scientifiques et technologiques à venir.