Retracer et anticiper les contaminations des fleuves : les résultats clés du projet de recherche TRAJECTOIRE
Comment reconstituer l’histoire des contaminations anthropiques des fleuves ? C’est à cette question qu’a cherché à répondre le projet de recherche TRAJECTOIRE, en s’appuyant sur les archives naturelles que constituent les sédiments fluviaux.
Né d’un questionnement d’expertise relatif à une contamination de la Loire survenue au début des années 1980, TRAJECTOIRE a élargi sa focale à l’échelle des grands bassins versants français, dans une approche interdisciplinaire et intégrée, combinant l’analyse géochimique et radiochronologique des archives sédimentaires à l’exploitation de corpus documentaires.
Formant un consortium de 7 partenaires scientifiques[1], ce projet, soutenu par l’ANR, a commencé en janvier 2020 autour de plusieurs enjeux :
- Etudier trois familles de contaminants « emblématiques » : les radionucléides, les microplastiques et leurs dérivés, et les métaux de haute technologie ou métaux dits « critiques ».
- Reconstruire leurs trajectoires temporelles, c’est-à-dire l’évolution des concentrations dans les grands bassins versants français depuis le début du siècle dernier afin de connaître l’émergence des contaminations et les niveaux au fil du temps.
- Documenter les sources de contamination (pressions exercées) afin d’expliquer les trajectoires observées.
- Identifier les liens de causalité entre les observations (état des milieux) et les pressions exercées en utilisant des modèles adossés à l’intelligence artificielle.
- Utiliser ces modèles afin d’être en mesure de proposer des trajectoires prédictives de contamination sur la base de scenarios.
Cinq ans après le démarrage du projet, l’équipe du Laboratoire de recherche sur les transferts de radionucléides dans les écosystèmes aquatiques (LRTA) a présenté les principaux résultats devant une large communauté scientifique lors d’un colloque de restitution finale à l’auditorium ASNR de Fontenay-aux-Roses.
[1] ASNR, EPOC (Environnements et Paléoenvironnements Océaniques et Continentaux ; Université de Bordeaux, CNRS), METIS (Milieux Environnementaux, Transferts et Interactions dans les hydrosystèmes et les Sols ; Sorbonne Université, CNRS), LEHNA (Laboratoire d'Ecologie des Hydrosystèmes Naturels et Anthropisés ; CNRS), LSCE (Laboratoire de Sciences du Climat et de l'Environnement ; CNRS, CEA), M2C (Morphodynamique Continentale et Côtière ; CNRS), MIO (Mediterranean Institute of Oceanography ; Université d'Aix-Marseille).
Que retenir des résultats ?
Plus de 50 mètres d’archives sédimentaires cumulés ont été extraits en aval de la Loire, du Rhône, du Rhin, de la Seine, de la Garonne, de la Meuse et de la Moselle à partir desquels les trajectoires des concentrations en contaminants ont pu être retracées.
De bonnes corrélations entre les pics de concentrations de césium 137 (¹³⁷Cs) observées dans les archives sédimentaires et les maximums des retombées atmosphériques reconstruites à l’échelle de bassins versants ont été obtenues. Ces résultats indiquent qu’à cette échelle spatiale, les valeurs des paramètres régissant le transfert de ce radionucléide depuis les sols jusqu’au cours d’eau, — tels que la migration dans les sols et le taux d’export par ruissellement — apparaissent similaires d’un grand bassin versant à l’autre. Ils constituent ainsi des références utiles pour les modèles opérationnels.
Les trajectoires temporelles du tritium, recherché sous sa forme organiquement liée dans les archives, mettent en évidence des marquages significativement supérieurs aux niveaux enregistrés dans les eaux de pluies (tritium libre) sur la même période. Ces écarts s’expliquent par le transfert aux fleuves, via le lessivage des bassins versants, de particules organiques provenant de la dégradation de la biomasse terrestre exposée aux retombées atmosphériques issues des essais nucléaires aériens et dans le cas de la Seine, du centre CEA de Valduc. Pour le Rhône et le Rhin, les rejets diffus liés à l’industrie horlogère franco-suisse contribuent majoritairement à ces différences.
L’analyse du potassium 40 (⁴⁰K) a révélé l’empreinte de l’usage des engrais potassiques avec des maximums dans les années 1980, en lien avec l’intensification agricole, suivi d’un déclin rapide reflétant une bonne capacité de résilience environnementale, c’est-à-dire un retour relativement rapide vers l’état initial caractérisant la période antérieure à la contamination. L’importante solubilité, donc mobilité, du 40K favorise très probablement cette capacité du système à évacuer sa contamination.
Les résultats relatifs aux microplastiques ne sont actuellement pas publiés. Ils ne le seront pas avant une qualification rigoureuse des protocoles analytiques employés, nombreux au sein de la communauté scientifique travaillant sur ces contaminants. L’analyse des dérivés plastiques tels que les phtalates montrent néanmoins que les concentrations ont augmenté après les années 1950-1970, avec des variations selon les rivières. Les travaux ont en outre permis de souligner des corrélations entre des paramètres géochimiques propre à la matière organique et les concentrations de ces contaminants.
Dans la famille des métaux, une revue critique a montré que, dans le bassin versant de la Gironde, la résilience vis-à-vis des contaminants historiques (Cd, Zn, Pb, Cu) dépend de la gestion des résidus miniers et des sédiments contaminés.
Un modèle d’intelligence artificielle, le HRHN (Hierarchical Attention-Based Recurrent Highway Networks), a été conçu pour prédire les concentrations de ces contaminants dans les rivières, en particulier le césium 137 (¹³⁷Cs) et le potassium 40 (⁴⁰K), deux radionucléides d’origine anthropique ou naturelle. Grâce à son apprentissage et aux jeux de données exploités, le modèle développé identifie et hiérarchise les variables explicatives (débit minimal, lessivage, dépôts atmosphériques, inventaire dans les sols et rejets industriels) et représente correctement les interactions entre ces variables pour la grande majorité des fleuves français. Le modèle permet ainsi de réaliser des projections sur la base de scénarios. Des projections jusqu’en 2100 ont été réalisées sur le Rhône, en explorant divers scénarios : rejets extrêmes, reproduction des événements historiques, effets du changement climatique via une baisse progressive du débit (projections INRAE). Ces simulations montrent que, comme attendu, la diminution du débit accentue les concentrations de ¹³⁷Cs, quel que soit le scénario.
Le compte-rendu final
La totalité des résultats du projet a été publiée dans un rapport disponible ici : Compte-rendu final du projet de recherche TRAJECTOIRE